Le Continent Almendros

Avec la découverte du nouveau monde, les Hommes cessèrent de croire en la magie. De nombreux êtres durent se réfugier au plus profonds des forêts, encore vastes à l'époque, accompagnés d'une poignée d'hommes et de femmes ralliés à leur cause.

Le plus ancien des sorciers, et le plus puissant, était un espagnol du nom de Felipe Almendros. Il semblait avoir percé le secret de chaque choses, les vivantes et les non-vivantes, les immobiles et les mouvantes, celles dont les voix sont entendues par tous, celles qui n’en ont presque pas et celles qui n’en ont plus, ou n’en ont jamais eu, et il ne connaîtrait pas le moindre repos avant que tous ceux qui s’étaient tournés vers lui soient en sécurité.
Sans qu'on le sache, il réussit à ouvrir peu à peu son esprit à un autre monde, sauvage, libre, et immense. A force de travail et de persévérance, il parvint à ouvrir une brèche assez grande pour que toute la féerie qui habitait alors l'Europe trouve un refuge proportionné à sa taille, et ce à la condition expresse de ne pas détruire sans utilité cet immense continent qui leur était offert. Accompagné d’amis fidèles, il explora longuement ces terres inconnues, le « Nouveau Monde » de ceux qui avaient été rejetés par des Hommes imbus de leur puissance, et peu à peu, commencèrent les installations. Le transfert fut cependant plus long que prévu, et ce contre-temps eût une improbable et heureuse conséquence. Chassés de leurs contrés, les Elfes, les Nains, les Gobelins, les Hommes, les Fées et les Sorciers désiraient au premier abord un pays par « races », mais les années passées à s’entraider, à faire front à l’adversité tous ensembles, avaient créé de nombreux liens entre les individus, et la vieille question du partage du continent fut vite oubliée. Les animaux se dispersèrent dans les forêts, Les dragons migrèrent vers les chaînes de Montagnes, les pays se formèrent peu à peu, car les habitants ne désiraient pas transformer cette contrée en vaste empire colonial, et jamais ils ne prenaient plus que nécessaire à la terre qui leur avait tant donné.
Au fil des siècles, des royaumes se formèrent, chacun coulant des jours heureux et paisibles, en paix avec leurs voisins.

Hélas, cela ne pouvait pas durer, car les Européens avaient communiqué leur soif de conquêtes, leur ambition et leur cupidité à l’esprit d’une poignée d’éternels mécontents, et leurs cœurs et leurs âmes se mirent à pourrir. A leur tête, se dressa un mage noir, le propre frère de Felipe Almendros, à qui il portait une haine tenace. Sentenza, pourtant réputé sans cœur, épousa néanmoins la fille d’un des compagnons de son frère, qui fut littéralement envoûtée par le mage. Nul ne sait ce qu’il lui promis, ni les discours qu’il lui tint, mais la plus belle et la plus vertueuse des femmes qui avait foulé cette terre lui offrit son amour, et, après son mariage, son esprit devint plus retors encore que celui de son époux, à qui elle donna cinq filles.
Ils créèrent leur propre pays, où, lorsque les habitants ne se vautraient pas dans la luxure et la débauche, ils inventaient de nouvelles tortures, et tuaient pour les tester les malheureux tombés en leur pouvoir, grâce à un charme de séduction qu’ils cultivaient comme un fruit défendu. Lorsqu’ils levèrent une armée pour conquérir les autres pays et les rendre à leur image, la colère de leurs pacifiques voisins éclata, et rasa la sombre royauté, avant d’emprisonner les tortionnaires. Le Muertaland disparut dans les brumes, et nul n’osa, après les batailles, s’aventurer dans ses contrées peu sûres.
Cependant, la belle-sœur de Felipe n'avait pas dit son denier mot : elle réussit à fuir, après avoir corrompu son geôlier, délivra son époux et ses filles, et les sept membres de cette famille imbue de pouvoir tenta de revenir dans leur ancien monde, avec pour idée d’asservir l'Europe (ou tout du moins de commencer par-là ). Cela se passait deux siècles après la fuite vers le continent baptisé Almendros en l'honneur du vieux sorcier, et donc au seizième siècle de l'Europe. Leur fuite fut empêchée de justesse, mais Felipe s'aperçut qu'il fallait définitivement fermer Almendros à la planète bleue, et confectionna en secret une clef, qu’il dissimula à la vue de tous. Son souvenir se perdit. Mais lui, Felipe, avait, disait-il, achevé sa quête, soit donner un abri sûr à toute créature dans le besoin, et, de son plein gré, il mourut à un âge fort respectable, car il avait connu plusieurs générations d’Hommes sur le continent d’Almendros. Sa mort plongea néanmoins tous les royaumes dans une grande tristesse, et le deuil semblait ne pas devoir finir. Il fut enterré en Rosaregnaest, au centre de la forêt. Felipe ne s’était jamais marié, car son cœur était resté près de la fille d’un Portugais cupide qui avait voulu l’emmener aux Amériques contre son gré afin de lui faire épouser un paysan ayant fait fortune sur les terres des indiens. La caravelle, trop chargée, avait sombré, et au fond du Pacifique repose désormais la jeune vierge que Felipe avait tant aimé.
Peu après sa mort, l’épouse de son frère fut la proie de crise de folies répétée, et tua l’une de ses filles en l’éventrant vive. Fou de douleur, Sentenza, qui portait semblait-il un amour trop profond à ses filles pour qu’il n’y ait là qu’un lien filial, tortura sa propre femme jusqu’à ce qu’elle en meure à son tour. Bien des siècles plus tard, on pardonna plus ou moins ses fautes à la malheureuse, estimant que d’autres auraient pu faire bien pire sous l’influence démoniaque de son époux.. Le veuf se retira dans les montagnes du Nord avec ses quatre filles survivantes, où il fut surveillé par les espions du Daïamonz, du Rosaregnaest, du Pays des Lagunes et d’Eleapia. On découvrit qu'il entraînait sévèrement ses filles à devenir encore et toujours plus puissantes, et bien qu’elles aient chacune vu plus de trente printemps, il ne leur permis jamais de se marier, et tua de sa propre main deux d’entre elles. Avaient-elles voulut fuir, ou ne lui avaient-elles pas donné entière satisfaction ? Peut-être les deux… Lorsque le double homicide fut découvert, on enleva ses deux dernières filles au veuf, et on l'emprisonna sur une petite île au centre du lac des brumes qui faisait office de Frontière entre Daïamonz et Eleapia. Défiant toute raison, ces deux filles s'enfuirent du Pays des lagunes où on les avait établies, et délivrèrent leur père, avec qui elles fuirent jusqu'en Muertaland. Le domaine devint bientôt inaccessible, chacun se heurtant à un mur invisible aux frontières. Une forêt noire encerclait le pays, mais de la fumée s'élevait souvent en son centre, preuve d'activité humaine. Seuls les plus mauvais et les plus cruels purent s'y rendre et n'en revinrent pas.


Les années passèrent, Sentenza et ses deux terribles filles devinrent une légende, puis les années se transformèrent en siècles, et alors le Nom et l’Histoire même du monarque de Muertaland et de ses filles furent oubliées. On savait seulement que derrière de sombres montagnes un puissant roi de l’ancien temps dormait, ainsi que ses filles, et on chuchotait que leur éveil provoquerait la fin de toutes choses, car ils possédaient une arme devant laquelle tous succomberaient.
Cette croyance s’avéra pourtant être fausse. Le Rosaregnaest était le plus proche pays du Muertaland, et un jour, on trouva au centre de la capitale trois pieux en haut des quels étaient fichés trois têtes humaines. Au milieu, sur le plus grand de tous, était la tête d’un homme extrêmement vieux, dont le visage avait été déformé par l’avarice et la cupidité. Ses yeux étaient ouverts, mais ils étaient entièrement blanc, et on supposa qu’il avait connu les affres de la cécité. De chaque côté, se trouvaient les têtes de deux femmes aux beaux visages, marqués cependant par les ans. Leurs cheveux blancs flottaient dans la brise matinale, et les quelques insectes qui voulurent participer, comme il est d’usage pourrait-on dire, à leur décomposition, moururent empoisonnés.
On sortit les archives, on dépoussiéra les légendes, et grâce à des gravures et de fidèles descriptions, on reconnu Sentenza et ses deux filles… qui avaient alors plus de mille cinq cents ans.

A dater de ce funeste jour, une fumée noire s’éleva du Muertaland, mais rien n’en sortit, et ce durant plus de trois mille cinq cents ans. La macabre découverte ne disparu cependant pas de si tôt des esprits, et grâce à elle, pour ainsi dire, l’histoire de Sentenza ne fut plus jamais perdue. ( Il faut préciser qu’en Almendros, le temps ne s’écoulait pas comme sur la planète Bleue, il est extrêmement plus rapide, et c’est en 1887, d’après le calendrier européen, que le Muertaland commença à se manifester hors de ses frontières. )

Une armée attaqua le Rosaregnaest lorsqu’ils s’y attendaient le moins, au moment des fêtes de Noël de l’année 6 du quatrième millénaire après la mort de Felipe et l’étendue du pays se trouva considérablement amenuisé. Mis à part cette (courte) bataille, aucune autre armée ne sortit du Muertaland, mais plutôt des compagnies de mercenaires, car dans sa forteresse, le nouveau maître du Muertaland avait trouvé le secret de la création des Orques, des Trolls, avait rassemblé tous les Hommes au cœur mauvais. Ils attaquaient à l’improviste n’importe quelle contrée proche des frontières et détruisait tout sur leur passage. Toutefois, ils tuaient le moins possible, préférant faire des captifs, nul ne savait dans quel but. Essai de nouvelles tortures, Otages ???

Régnant au centre du pays mortel, une Chose sans nom, plus puissante et plus terrible que tout ce qui avait jamais foulé Almendros commençait, lentement mais sûrement, l’asservissement de toute chose libre.